Patrick Neys (à droite sur la photo), cofondateur de Drop the Spoon et passionné de contenus vidéo, 3D, 2D, de compositing et d'effets spéciaux nous raconte son parcours.
Est-ce que tu peux nous rappeler comment tes études à l'IAD ont commencé ?
Je suis rentré à l'IAD en 1998. Je m'étais d'abord inscrit en montage scripte. Après trois semaines, je me suis rendu compte que cela ne me convenait pas. Heureusement, j'ai pu tout de suite me réorienter vers la section multimédia, dans laquelle je me suis senti beaucoup plus à ma place.
J'ai énormément apprécié le fait de découvrir un large panorama de domaines différents: 3D, 2D, VFX, développement interactif, ainsi qu'une introduction à l'univers sonore. Je crois que cela m'a ouvert pas mal d'horizons. Cela me permet d'aborder chaque projet avec une vision globale intégrant une compréhension de chaque ingrédient.
En 2001, mon travail de fin d'études était principalement axé sur le compositing et la création de trucages 2D: c'était essentiellement des combats à l'épée avec, pour décor, l'abbaye de Villers-la-Ville plongée dans un univers inspiré du film Highlander.
Mon stage chez Mainframe/Ciné&FX s'étant bien passé l'année précédente, j'avais pu profiter de leur infrastructure pour travailler les scènes plus lourdes (même si on ne parlait pas encore de HD à l'époque) et faire mes rendus. Une fois mon diplôme en poche, j'ai été engagé chez eux. Assez rapidement, j'ai aidé cette société à monter une équipe orientée vers les effets spéciaux, la 3D et le compositing. Cette équipe était majoritairement composée de jeunes diplomés de l'IAD, dont certains avec qui je bosse encore aujourd'hui. Mon rêve était de travailler pour le cinéma, de réaliser la déferlante d'effets spéciaux des blockbusters que j'allais voir avec mes potes dès leur sortie.
Pourtant, dans les conversations que j'ai eues, ton nom a souvent été associé à celui de Franco Dragone. Tu peux nous expliquer cette rencontre là et ses conséquences sur ton parcours ?
Travailler avec Franco a effectivement beaucoup compté pour moi. Quand je travaillais chez Mainframe/Ciné&Fx, nos patrons sont arrivés un beau matin en annonçant que nous allions travailler sur la partie vidéo du prochain show de Céline Dion à Las Vegas. Le spectacle était mis en scène par Franco Dragone, dont je n'avais jamais entendu parler à l'époque. Lorsque, à 21 ou 22 ans, tes patrons te disent que tu pars à Las Vegas pour participer à la création du show d'une star mondiale, tu ne réfléchis pas une seconde, tu te dis juste "Let's Go !".
Nous avons préparé le show en Belgique pendant près d'un an, avant de partir à Las Vegas, de janvier à mars 2003, pour finaliser les contenus vidéo. Quelle magie de voir nos créations sur le plus grand écran LED d'intérieur de l'époque: 40 mètres dans le Colosseum, la nouvelle et somptueuse salle du Caesar Palace !
Les matte paintings, le compositing, la 3D, la 2D prennent une toute autre dimension. Nous travaillions pour la première fois en HD, un vrai challenge à l'époque. Les contenus créés devaient évoluer pendant plusieurs minutes sans possibilité de changement de caméra ou de plan. Les rendus étaient donc très longs … et les nuits très courtes (rires).
A Las Vegas, j'ai vu Franco dans son élément. Il était le capitaine qui gérait la scénographie, les lumières, les performances et chorégraphies, la théâtralité de chaque personnage, etc. Sa mise en scène mélangeait finement les éléments réels, les artistes, leurs costumes et les performances de Céline Dion à nos contenus digitaux. Voir nos images en situation et avoir ses commentaires pour améliorer notre travail était plus qu'intéressant et enrichissant, c'était magique.
Cela a vraiment été un déclic: mes compétences pouvaient servir à autre chose qu'au cinéma. Quelles émotions lors de la première ! C'est physique: les poils se dressent, les gorges se serrent, les frissons arrivent quand Céline Dion envoie et que le public réagit. Une expérience incroyable.
Après cela, j'ai quitté mon poste d'employé cher Mainframe/Ciné&FX pour travailler comme freelance en tant que graphiste et monteur, puis comme concepteur principal des projections sur plusieurs projets avec Franco Dragone: "Le Rêve" à Las Vegas (2005), "The House of Dancing Water" à Macao (2010), "The Han Show" à Wuhan (2014), "Paris Merveilles" pour le Lido de Paris (2015) "Dai Show" à Xishuangbanna (2015), etc.
J'ai rencontré beaucoup de monde, appris énormément de choses et vécu beaucoup de beaux moments. Cela dit, tout n'a pas toujours été rose : beaucoup de stress, pas beaucoup de vie de famille. J'étais souvent à l'étranger, je travaillais sur des projets intéressants mais qui demandaient beaucoup de gestion humaine en plus de mon travail.
C'est après cette période que vous lancez l'aventure Drop de Spoon avec Jean-Luc Gason et Dirk Decloedt ?
Après de nombreux projets aux côtés de Franco, nous en avons d'abord mené quelques autres comme un collectif d'indépendants: "Christmas Spectacular" au Radio City Music Hall" à New York (2006), la tournée mondiale "Circus" de Britney Spears (2008), "1789, les Amants de la Bastille" la comédie musicale de Dove Attia (2012), ...
En novembre 2015, nous décidons de prendre la barre de notre propre navire: Drop The Spoon.
On commence fort. Notre premier projet: écrire et réaliser 16 minutes de vidéo mapping avec trois tours vidéo qui couvrent la plus imposante façade de la cathédrale de Strasbourg pour y projeter images, textures et effets. Ce (très) gros projet de vidéo mapping architectural nous a permis d'en faire l'une des spécialités de Drop de Spoon. Nous ne faisons pas qu'embellir des édifices en y projetant de jolies couleurs ou textures, nous nous inspirons de leur âme pour raconter une histoire. Notre dernier grand mapping en date: une heure de projection sur le somptueux Château de Chambord en 2022.
A côté de cela nous avons continué de travailler sur énormément de projets à l'international, dont certains toujours avec l'équipe de Franco Dragone: "La Perle" à Dubai (2017) ou "Amystika" à Las Vegas (2022) … qui fut malheureusement notre tout dernier projet avec lui.
En Belgique, nous avons eu la chance d’écrire et de réaliser plusieurs mappings pour Pairi Daiza ces dernières années. Nous venons d’ailleurs de terminer les mappings créés pour Halloween. "Trick or Treat" est un mapping burlesque inspiré de l’univers de Tim Burton, tandis que "Les Monstres Des Profondeurs" donne vie à des monstres mythologiques comme le Kraken ou Nessie sur un écran d’eau de 40 mètres, au milieu du lac.
Comment expliques-tu le fait que vous avez principalement des projets à l’étranger plutôt qu’en Belgique et en Europe ?
Selon moi, c’est avant tout une question de culture. En Europe et en Belgique en particulier, créer des contenus digitaux à cette échelle dans le cadre d’événements n’est pas encore dans les mentalités.
Il y a aussi la question des budgets disponibles. Drop the Spoon réalise des contenus numériques et participe à la création, à la direction artistique. Cela veut dire que nous sommes souvent impliqués tout au long d’un projet, depuis sa phase de conception. Ce sont des projets qui s’étendent régulièrement sur plusieurs mois, voire sur un an ou deux, ce qui a pour corollaire des budgets importants rarement disponibles en Belgique.
En tant que co-dirigeant d’entreprise travaillant dans l’événementiel, les deux ans de COVID n’ont évidemment rien arrangé. Énormément de projets ont été annulés, reportés ou fortement réduits.
Un petit conseil à nos étudiants pour terminer cette interview ?
Je ne sais pas si j’ai beaucoup de conseils à donner. Je dirais qu’il faut oser quitter les chemins que que l’on a imaginés, ces belles routes bien droites, pour profiter des opportunités qui se présentent et tracer ses petits chemins de traverse personnels.
Ce que j’aime par-dessus tout dans ce métier, ce sont les émotions que l’on peut susciter tout en réalisant nos propres rêves. Depuis la sortie de Jurassic Park en 1993, créer des dinosaures était sur ma liste. Quand ma fille a vu les monstres des profondeurs à Pairi Daiza, qui leur ressemblent un peu, elle était très fière de son papa et de son équipe. Double "check".
Photo de couverture: les anciens de l'IAD chez Drop the Spoon. De gauche à droite: Guillaume Noël, Benjamin Reul, Malo Vandercruyssen, Nicolas Cornet et Patrick Neys.