Maud Carpentier, scénariste diplômée du Master Cinéma Écriture (promotion 2017) nous parle de son métier de scénariste pour la télévision et le cinéma.
Bonjour Maud. Pour beaucoup, le métier de scénariste est un peu mystérieux. Comment as-tu décidé de te lancer dans cette carrière ?
J'ai commencé par faire des études secondaires littéraires en France. J'ai toujours eu pas mal de carnets dans lesquels j'écrivais des nouvelles, des histoires, etc. J'ai ensuite fait partie d'un kot à projet de théâtre, réalisé la mise en scène d'une pièce...
Après mon bachelier en communication à l'UCL, j'ai pris conscience qu'un master en journalisme ne m'intéressait pas. Un ami m'avait parlé du Master Cinéma Écriture à l'IAD. Après avoir été admise, je me suis lancée dans ce master qui me correspondait davantage.
Cette année-là, on était six en classe, avec chacun un univers différent. C'était vraiment intéressant de travailler en groupe, de présenter mes idées aux autres, d'intégrer des idées qui n'étaient pas forcément les miennes et d'avoir des retours personnalisés des professeurs. Les autres élèves de la formation avaient tous un background en cinéma. Ce n'était pas mon cas et ça m'a beaucoup motivé à m'investir dans mes études.
En marge de la formation, un étudiant en réalisation, Sergio Guataquira Sarmiento, est venu me chercher pour écrire le scénario de son film de 4ème année (Majeure), "Pablo", qui a obtenu le Prix du scénario au "Court en dit long" 2018. Cela m'a donné la chance de pouvoir collaborer étroitement avec un réalisateur dès l'école, ce qui a été très précieux dans la suite de ma carrière.
Justement, comment s'est passé pour toi ce passage des études au monde professionnel ?
Les premiers mois étaient un peu difficiles, je ne savais pas trop à qui m'adresser ou comment avoir mes premiers contrats. J'ai fait pas mal de petits boulots qui n'avaient rien à voir avec le scénario et j'avoue que j'étais un peu déprimée.
Au bout de 6 mois, j'ai passé un test pour entrer dans l'équipe d'écriture d'une série. Je me suis donnée à fond et j'ai été prise..Du haut de mes 25 ans, j'intègre alors l'équipe d'écriture de "Prémonitions", un projet de série pour le fond RTBF/FWB.
De manière générale, les projets de ce fond (qui a été créé en 2013 et qui va devenir la Commission Série prochainement) passent par trois grandes phases : développement de la bible et écriture de l'épisode pilote, développement des arches narratives de la série et (phase 3) écriture des épisodes dialogués et développement d'une maquette de 10 minutes. On peut ensuite passer au tournage, si le projet est greenlighté par la chaîne (après ultime validation des scénarios et de la maquette).
Lors de chacune de ces phases, le projet peut être arrêté. Cela a été le cas pour mon tout premier projet : après huit mois d'écriture, notre série est "débranchée". Première grosse claque pour moi. Cela fait partie des côtés "durs" de ce métier. On s'investit pendant des mois pour un projet... qui ne voit jamais le jour.
Ensuite, je suis contactée par un collègue scénariste, Frédéric Castadot ("Ennemi Public", "Fugazi", etc.), qui me propose de travailler avec lui sur un projet de série, "Ghost Society". En parallèle, nous travaillons en binôme sur un autre projet, "Alma", actuellement en phase 3 du fond RTBF/FWB.
J'imagine que les projets de séries demandent un travail particulièrement important au niveau des scénarios, des personnages, de l'intrigue. C'est un exercice différent par rapport à un court métrage ou à un film unitaire, non ?
Oui, cela ressemble vraiment à une tapisserie par certains aspects. Dans les séries, on fait d'ailleurs ce que l'on appelle du "tissage narratif" pour lequel on utilise un grand mur blanc et beaucoup de post-its. Chaque couleur représente une ligne narrative et on "tisse" ces lignes narratives par épisode pour construire une trame cohérente sur l'ensemble de la série.
Pour continuer sur la métaphore du tissage, comme les projets sont souvent de longue haleine, il faut aussi gérer plusieurs projets en parallèle, ce qui n'est pas toujours évident. Pour le moment, j'ai ces deux projets de séries avec Fred mais aussi "Drosera", un court métrage que l'on va tourner dans le Grand-Est avec Boris Tilquin, ainsi qu'un long métrage en développement...
Traditionnellement on termine ces interviews par un conseil ou un message aux futurs scénaristes. Qu'est ce que tu aurais envie de leur dire ?
La première chose qui me vient à l'esprit c'est de les rassurer, de leur donner confiance en leur disant : "tu es légitime, tu as le droit de défendre tes opinions". J'en discute souvent avec des scénaristes émergents que je rencontre dans le cadre de l'ASA (Association des Scénaristes de l'Audiovisuel) où je fais partie du C.A. C'est un métier dans lequel il faut apprendre à s'affirmer, à avoir une bonne dose de confiance en soi et en son talent. C'est sans doute encore plus vrai en tant que femme.
Ensuite, je conseille toujours aux scénaristes émergents de signer un contrat de collaboration le plus tôt possible. C'est le contrat que tu signes avec ton co-auteur. Ça détermine le rôle de chacun, mais aussi qui est cité au générique, le budget, le planning d'écriture. C'est une étape qu'on signe trop souvent en retard. Le signer le plus tôt c'est se protéger, surtout quand on est jeune et qu'on travaille sous la direction d'une directrice d'écriture ou d'un scénariste plus confirmé.
Un projet audiovisuel doit surmonter beaucoup d'obstacles pour devenir une réalité : il faut trouver des financements, faire les dossiers, passer devant les commissions, les jurys, écrire, collaborer avec les producteurs, les réalisateurs, les équipes, etc. Tout cela en étant forcément en compétition avec d'autres projets. Les places sont chères, c'est une réalité. Il va falloir apprendre à faire ces dossiers, mais aussi apprendre à pitcher, à lire des contrats et surtout, à vivre avec son syndrôme de l'imposteur.
Cela étant dit, malgré les difficultés, quand je travaille sur un projet comme scénariste, que je le porte tout au long de ce parcours et qu'il voit finalement le jour, qu'il devient tangible, je me dis que je fais un métier magique.