Entretien avec Nastasja Saerens autour de ses expériences dans différents métiers de l’image, de son parcours comme étudiante et comme professionnelle, de la valeur ajoutée d’une bonne direction photo.
Bonjour Nastasja. Pour commencer, comment décides-tu à 18 ans de te lancer dans les métiers de l’image au cinéma ? Qu’est ce qui a fait que tu te sois dirigée vers ces études et vers la direction photo en particulier ?
J’ai toujours été passionnée par le cinéma. Déjà quand j'étais en humanités, j’ai suivi un cours de photo argentique pendant 3 ans à l’académie Constantin Meunier. J’ai découvert la photo, le cadrage, mais aussi les aspects plus techniques comme le travail en chambre noire et le développement.
En sortant de mes secondaires, je tente les épreuves d’admission en image et en réalisation et je suis prise pour les deux. Dilemme. Je pense qu’à l’époque, je percevais la réalisation comme quelque chose de plus abstrait. Les aspects plus concrets, plus techniques de l’image étaient plus attirants pour moi, plus tangibles, même si les mathématiques, l’optique et les matières scientifiques m’effrayaient un peu.
Mes deux premières années ont été assez difficiles, à cause de ces aspects techniques et théoriques. C’est seulement en dernière année de Bac et en Master que j’ai eu la certitude que j'étais à ma place, que j’ai vraiment senti que ce métier était fait pour moi. Je me sentais plus en confiance, les projets et mon travail de fin d'études m’ont donné l’occasion d’appliquer ces connaissances techniques et de les combiner avec des aspects plus créatifs.
Après avoir travaillé pendant un an, j’ai d’ailleurs repris un master en écriture à l’IAD. Je voulais avoir un meilleur bagage scénaristique et narratif pour compléter ma formation.
C’est vrai que le public à tendance à voir les métiers de l’image comme étant presque exclusivement techniques, alors qu’ils ont énormément de côtés créatifs. Est-ce que tu peux développer un peu cet aspect-là ?
Ce qui me vient immédiatement à l’esprit c’est un exercice dans lequel on devait faire 15 photos et utiliser le cadrage pour raconter une histoire. Pour moi cela a été un déclic.
On ne s’en rend pas bien compte quand on est spectateur, mais la place d’une caméra, son rapport à l’espace, aux personnages, raconte beaucoup de choses. Cela participe énormément à la narration. L’impact sur le spectateur est subliminal, presque inconscient mais est bien réel et extrêmement important en fiction comme en docu. En quelques images, le cadrage, les lumières et le positionnement de la caméra peuvent influencer la perception d’un personnage, d’une émotion par le spectateur, faire avancer l’intrigue d’une fiction ou encore souligner le propos d’un documentaire. Une ingénieure du son, une cheffe déco, une cheffe op, etc. ont une influence narrative énorme sur le produit fini.
Dans ce métier, on travaille sur des univers et des scénarios extrêmement différents, ce qui nous amène à décliner nos savoir-faire, à peaufiner nos techniques, à réinventer notre langage de l’image pour les mettre au service du projet. Il faut sans cesse sortir de sa zone de confort, relever de nouveaux défis. C’est un aspect du travail de directrice photo qui me plait beaucoup.
Justement, comment s’est passée cette transition entre les études et le monde professionnel ?
Assez naturellement en fait. Pour moi, c’était simplement la suite logique de mes études. J’ai terminé mon master en image, j’ai travaillé un an et, ensuite, j’ai fait ce master en écriture que j’ai étalé sur trois ans en travaillant en même temps.
J’ai commencé par explorer différents métiers: electro, assistante caméra sur de gros plateaux, directrice photo sur de plus petits projets, etc. J’ai pu expérimenter une grande variété de projets, de métiers, tester beaucoup de choses et faire énormément de belles rencontres.
Petit à petit, je me suis davantage concentrée sur des projets de direction photo mais en gardant une grande diversité: grosses productions, films plus confidentiels, documentaires, courts-métrages, fictions, tournages en plateau, en extérieur, etc.
Ce métier a énormément de bons côtés mais cela peut aussi être un milieu très rude, avec beaucoup de pression. Comme femme ou comme personne racisée, c’est encore un peu plus difficile. Particulièrement sur des gros projets de fiction, sans doute parce qu’il y a plus d'enjeux, plus de dynamiques de pouvoir, j’ai eu l’impression de devoir constamment prouver que je connaissais mon métier, que j’étais à ma place, que j’étais capable. Cela a été une réalité compliquée pour moi qui n’avais jamais rien vécu de comparable pendant mes études.
Alterner les grosses productions avec des projets de moindre ampleur et varier les types de projets m’a permis de contrebalancer cet aspect-là en retrouvant des ambiances plus sereines et plus collaboratives, moins centrées sur la compétition et la performance.
M’investir dans des projets audiovisuels très différents m’apporte encore aujourd’hui un grand équilibre qui me permet de faire aussi quelques plus grosses productions et de gérer la pression.
Pour terminer, question traditionnelle: si tu rencontrais aujourd’hui la Nastasja de tes débuts, qu’est-ce que tu aimerais lui passer comme message ?
N’aie pas peur de tes faiblesses ou de tes craintes, n’hésite pas à poser des questions, à aborder des gens qui sont déjà dans le monde professionnel.
Rencontrer des aînés, leur poser des questions ou simplement avoir leurs retours d’expériences, c’est extrêmement rassurant, cela remet les choses en perspective et ça fait un bien fou ! Même si les métiers de l’audiovisuel ont parfois un côté compétitif, ce sont aussi des milieux dans lesquels il existe un profond courant d’entraide, profitez-en !
Ayez confiance en vous, n’ayez pas peur d’essayer, de tenter des choses qui vous font sortir de votre zone de confort. Soyez à l’écoute des autres, cherchez votre juste place dans l’équipe et la cohérence du projet plutôt que la performance et la belle image à tout prix.
Photo de couverture: Hugo Pagnier.
Le site de Nastasja Saerens.