Il est tôt pour nous en Belgique, tard pour lui en Nouvelle-Zélande. Nicolas Beaufays a pris le temps de partager avec nous son métier et sa passion : les effets spéciaux et le compositing pour le cinéma.
Salut Nico. Cela fait toujours plaisir de discuter avec un ancien de multimédia ! Tu es pour le moment basé en Nouvelle-Zélande et tu bosses pour Wētā FX, la référence en Effets Spéciaux. Comment es-tu passé de Liège à Wellington ?
Mon frère a fait ingénieur du son à l'IAD. Un jour, il est revenu à la maison avec une VHS (et oui, ça date un peu) qui contenait des travaux réalisés par des étudiants en multimédia. Je me souviens d'un travail mettant en scène des dinosaures à Louvain-la-Neuve ! Pour moi, c'était de la magie ! Je voulais apprendre, comprendre comment c'était fait. Bref, mon frangin m'a coaché et j'ai réussi les épreuves d'admission.
Me voilà à Louvain-la-Neuve. J'ai vraiment adoré la diversité des cours et le côté artistique accompagné d'un solide fond technique qui est la marque de fabrique de l'école. J'ai eu quelques super professeurs, dont Dominique Fiore. On travaillait avec After Effect, Shake et Combustion et c'est là que j'ai vraiment pris goût aux VFX. Pour la première fois de ma vie, j'avais l'impression d'accrocher vraiment à l'école, d'apprendre les bases de quelque chose qui me passionnait et pour lequel j'avais un certain talent. Pour être bon en compositing et en effets spéciaux il faut comprendre l'image, le rôle du son, avoir un bon œil, intégrer les intentions du réalisateur, etc. C'est aussi super fun : tout est permis tant que cela fonctionne !
Par contre, mon travail de fin d'études a été un vrai cauchemar … j'ai décidé de faire de la 3D plutôt que du compositing ... je n'ai plus jamais ouvert un programme de 3D après ça. D'ailleurs, si on pouvait arrêter d'en parler ce serait mieux pour mon moral (rires).
Ok, on ne parle plus de 3D. Revenons aux VFX. Tu termines l'IAD avec un travail en 3D magnifiquement maîtrisé (rires) et puis, pour fêter ça, tu te mets à chercher un job en compositing ?
Oui c'est ça (rires). J'ai fait mon stage chez Mainframe à Bruxelles, j'ai beaucoup appris et ils m'ont laissé expérimenter et faire quelques plans compliqués. Par après, j'ai été "engagé" chez eux comme freelance. Il y avait beaucoup de hauts et de bas au niveau des projets mais j'étais en colocation et je n'avais pas beaucoup de frais, donc ce n'était pas grave. Par contre, j'ai rencontré beaucoup de monde dans le milieu, j'ai appris comment négocier les contrats et à travailler avec des petits budgets.
Après quelques années, j'ai décroché un projet à Londres pour MPC. J'avais envoyé des tonnes de mails avec mon showreel mais j'avais toujours été refusé jusque là : films belges, trop d'effacements de perches et de pieds de micros, pas assez d'effets spéciaux poussés, etc.
Je débarque à Londres avec mon anglais approximatif. "Pirates des Caraïbes" est le premier projet sur lequel je travaille. Je n'avais jamais fait de compositing sur des CGI mais je me suis lancé. Je me souviens d'ailleurs d'une de mes premières reviews avec un superviseur. On regarde mon travail et il me fait des commentaires en anglais sur ce qu'il faut changer, etc. Moi, je décroche au bout de 2 minutes et je dis "yes, yes, of course" en me disant que, de toute façon, la coordinatrice prenait des notes. La coordinatrice et moi, on arrive au bureau et là, elle me dit : "T'as compris ce qu'il disait Nico ? Parce que moi, j'étais complètement larguée". L'horreur.
J'ai fais ce que je pensais devoir faire et, lors de la séance suivante, le superviseur me dit: "Je ne comprends pas. Pour certaines choses, c'est exactement l'inverse de ce que j'avais demandé." Excuses. Retour sur l'ordi. Corrections. Le niveau d'exigence était très élevé par rapport à la Belgique et donc j'ai énormément appris.
Après Londres, j'ai été au Canada et en Australie en travaillant pour MPC, Animal Logic et d'autres sur des films comme "Harry Potter", "The Great Gatsby", "X-men", "Guardians of the Galaxy", etc.
A la fin de cette période j'ai pris quelques congés. On était dans un bar avec un ami en Australie et on s'est dit : si on rentrait à Liège à mobylette ? On l'a fait! Cela nous a pris 6 mois passés à regarder le monde défiler à 50 Km/h. On s'est bien amusés et puis, voir tous ces paysages différents, je crois que cela a contribué à former mon œil pour la suite. J'ai d'ailleurs fait l'expédition une seconde fois à partir de la Nouvelle-Zélande par après.
Justement, parlons-en. Comment est-ce que tu arrives chez Wētā FX en Nouvelle-Zélande ?
Pour moi c'était un rêve d'aller travailler dans ce studio. Wētā FX c'est un peu le graal des passionnés de VFX. C'est la boite fondée par Peter Jackson, ils ont fait "Le Seigneur des Anneaux", "Le Hobbit", "Avatar", etc. Après avoir travaillé comme Lead Digital Compositor pour MPC sur "Pirates des Caraïbes - La vengeance de Salazar", j'ai finalement réussi à décrocher un job chez eux … mais j'ai postulé je ne sais pas combien de fois ...
J'ai eu la chance de pouvoir travailler sur les "Avengers" et récemment sur "Avatar: The Way of Water". La particularité de Wētā FX, c'est d'avoir un département de R&D incroyable dans beaucoup de domaines. Ils font réellement avancer l'industrie, les techniques et les workflows utilisés. Ce sont des projets immenses au niveau VFX. Les choses sont pensées de bout en bout, avant même de tourner les premières images ou de faire les premiers effets.
Un film comme "Avatar - The Way of Water", c'est plus de deux ans de travail avec une équipe compositing qui tournait par moment autour de 150 personnes. Des workflows spécifiques, des façons de travailler et des équipements ont été créés pour gérer certains aspects des VFX. Travailler sur un projet de ce genre, c'est une autre division, un autre monde, un tour de magie permanent.
Pour terminer, un conseil pour les gens qui se lancent dans les VFX à l'IAD ?
Prenez des vacances régulièrement pour relâcher la pression, à mobylette si possible (rires). Regardez autour de vous, observez, essayez de rencontrer un maximum de gens, allez au musée, visitez des expos, etc.
Faire du VFX, c'est fabriquer des morceaux de mondes artificiels et, pour faire ça convenablement, c'est important d'explorer le monde qui nous entoure.